Le sport ne peut ignorer les droits de l'Homme, c'est en résumé la pensée d'un bon nombre de militants des droits de l'Homme dans le monde. Que ce soit le Football, les Jeux Olympiques, le Rugby ou la Formule 1, tous les sports, dirigeants ou sportifs sont concernés.

Ne pas se mêler de la politique nationale, voilà la ligne directrice de la F1 sur la question des droits de l'Homme. Cette indifférence se constate dès les débuts du Championnat du Monde de F1. Le GP d’Espagne de 1951, sur le circuit de Pedralbes, voit le premier sacre de Fangio, mais se déroule sous la dictature sanglante du général Franco.

Le gouvernement argentin soutiendra financièrement la carrière de Fangio, puis le pays, toujours en proie à la dictature militaire, accueillera la F1 régulièrement jusqu'en 1981 (fin de la dictature en 1983). Il en va de même pour le Brésil qui organisera son premier GP de F1 en 1973 à Interlagos, en pleine dictature militaire.

Le circus de la F1 continuera de se rendre au Brésil jusqu'à la fin de la dictature puis au-delà, sans discontinuer (alternant uniquement entre le circuit d'Interlagos et celui de Jacarepaguá). Les régimes changent, mais la F1 reste.

Le scandale de 1985

Il s'agissait d'une époque où l'opinion publique s'intéressait peu à ces questions de violations des droits de l'Homme. La barbarie et les violences étaient certes montrées du doigt, mais peu de personnes labellisait cela comme une violation des droits de l'Homme. Les perceptions changent, et le GP d'Afrique du Sud de 1985 en est le parfait exemple.

Tout le monde connaît plus ou moins l'histoire autour de ce GP : la demande de boycott des gouvernements français et allemands (quelques chaînes de télévisions ainsi que trois équipes observent ce boycott: Renault, Ligier et Zackspeed), le scandale français autour de la présence d'Alain Prost, tout frais Champion du Monde (et qui finit 3ème de cette course). Cette course sera la dernière en Afrique du Sud jusqu'à la fin de l'apartheid. Officiellement, l'apartheid s'arrêta en 1994 avec l'élection de Mandela à la Présidence de la République.

Mais dès 1991 le gouvernement sud-africain entame l'abolition des différentes lois ségrégationnistes. Mais cette course n'était pourtant pas la première en Afrique du Sud. La F1 s'est installée en Afrique du Sud sans regard pour sa situation politique et humaine. Et si ce n'était pour la pression populaire grandissante, le petit monde de la F1 serait retourné sur ces terres en 1986 et au-delà.

L'indifférence moderne

Ce GP d'Afrique du Sud ne marque cependant pas un changement dans l'attitude de la F1. Cette dernière continue de promouvoir son sport et de se déplacer sur de nouveaux circuits, dans des pays peu respectueux des droits de l'Homme. C'est le cas de la Chine qui accueille la F1 depuis 2004. Malgré les appels au boycott, notamment des JO de Pékin en 2008, la F1 fait mine de ne rien savoir sur les exactions et les violations répétées et institutionnalisées contre les droits de l'Homme en Chine.

Plus récemment encore, alors que le monde du sport commence à se questionner sérieusement et que l'opinion publique presse les dirigeants sportifs à plus de responsabilités, la F1 décide d'organiser un GP en Russie en 2014 et, dernièrement, en Azerbaïdjan. Deux pays connus pour leurs violations régulières aux droits de l'Homme. Mais il y a un pays qui a cristallisé ce débat, et forcé la Formula One Management (FOM) à adopter une déclaration de respect des droits de l'Homme, et ce pays, c'est Bahreïn.

Le cas Bahreïn

Au calendrier du Championnat du Monde depuis 2004, l'édition 2011 du GP de Bahreïn fut dans un premier temps reportée puis annulée. Exigeant des réformes politiques et sociales, les manifestants bahreïnis du « printemps arabe » ont été réprimés par la violence, faisant plusieurs morts, des centaines de blessés et d'emprisonnés. L'état d'urgence déclaré dans le pays a conduit le Conseil Mondial de l'automobile à repousser le GP de Bahreïn qui devait ouvrir la saison 2011.

La levée de cet état d'urgence a permis la restauration du GP, en fin de calendrier. Mais la multiplications des incidents dans le pays, et la pression populaire ont poussé l’État de Bahreïn à tout simplement annuler l'édition 2011, au grand soulagement de certaines équipes qui craignaient autant pour leur sécurité que pour leur image.

La controverse ne s'arrête pourtant pas là. Plusieurs associations dénoncent le retour de la F1 à Bahreïn en 2012 et les années suivantes. Ces dernières estiment que la présence du GP entretient une image positive de l’État de Bahreïn, en contradiction avec la réalité. Cela aggraverait les violations aux droits de l'Homme, du fait d'une répression plus importante des manifestations pendant l’événement sportif.

La F1 au cœur du problème

L'association des Américains pour la Démocratie et les Droits de l'Homme à Bahreïn (ADHRB) dépose une plainte contre la FOM, les équipes et les sponsors, sur la base des principes régissant l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Selon ces règles, les entreprises ou organisations sous juridictions de l'OCDE ont obligation d'éviter de causer ou de contribuer à causer toutes violations aux droits de l'Homme, mais également de signaler ces atteintes aux droits de l'Homme lorsqu'elles se produisent.

Elles doivent également chercher tout moyen d'éviter ou minimiser les atteintes aux droits de l'Homme dont leurs activités sont responsables. Il est également nécessaire de faire des vérifications préalables à toute activité. Il appartenait donc à la FOM de contrôler la situation humaine de Bahreïn et de s'assurer que sa présence n'engendrait pas de violations aux droits de l'Homme.

Le gouvernement anglais, chargé d'examiner la plainte, a confirmé que cette course revêt un caractère politique, un symbole tant pour le gouvernement que pour ses opposants, créant ainsi d’inévitables tensions. Selon le rapport, la FOM ne semble pas avoir pris la moindre mesure pour s'assurer le respect de ses obligations en matière de droits de l'Homme. Il apparaît alors nécessaire, toujours selon le gouvernement anglais, de changer l'approche de la FOM à la question des droits de l'Homme dans les pays où elle passe.

La F1 s'engage enfin

C'est donc suite à ce rapport que la FOM adopte enfin, en avril 2015, une politique en la matière et cesse donc de négliger son impact humain. Sans bruit et sans fanfare. Une vraie victoire pour les militants des droits de l'Homme lorsque l'on se rappelle des propos de Bernie Ecclestone sur la question.

Dans les mentions légales du site officiel de la FOM apparaît une déclaration d'engagement au respect des droits de l'Homme. Elle comporte 3 points :

1. Le Formula One Group s'engage à respecter, dans ses activités mondiales, les droits de l'Homme internationalement reconnus.
2. Tout en respectant les droits de l'Homme dans l'ensemble de nos activités, nous concentrons nos efforts en ce qui concerne les domaines qui sont au sein de notre propre influence directe. Nous le faisons en prenant des mesures proportionnées pour:
(a) comprendre et surveiller selon notre procédure de vérifications préalables, les atteintes potentielles aux droits de l'Homme liées à nos activités ;
(b) identifier et évaluer, en procédant à une vérification préalable le cas échéant, les atteintes aux droits de l'Homme indésirables, réelles ou potentielles, avec lesquelles nous pouvons être impliqués par nos propres activités ou à la suite de nos relations d'affaires, incluant, mais pas uniquement, nos fournisseurs et promoteurs ;
(c) envisager des réponses pratiques à tous les problèmes soulevés lors de notre vérifications préalables, en tenant compte du contexte ;
(d) s'engager, le cas échéant, de sérieuses discutions avec les parties prenantes en ce qui concerne toutes les questions soulevées à la suite de notre vérification, et ;
(e) respecter les droits de l'Homme de nos employés, en particulier les interdictions concernant travail forcé et le travail des enfants la liberté syndicale et d'association, le droit de négocier collectivement, et l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession.
3. Lorsque les lois et les règles nationales sont en conflits avec les droits de l'Homme internationalement reconnus, le Formula One Group cherchera des moyens de les honorer autant que possible, sans se mettre en violation des lois et règles nationales.

La F1 décidera-t-elle de ne plus se rendre plus dans les pays qui ne respectent pas les droits de l'Homme ? Bien sur que non. Car comme les principes de l'OCDE l'y obligent déjà, la FOM devra prendre des mesures en amont des GP, qu'ils soient déjà au calendrier ou à venir. Ces mesures concerneront ses propres activités ainsi que celles de ses fournisseurs et promoteurs. Nul ne peut dire aujourd'hui en quoi consisteront ces mesures, ni de quelles manières la FOM effectuera ses vérifications préalables. Il s'agit donc d'une simple déclaration d'intention sans réelle contenu.

La FOM ne s'engage à rien de plus et, vu son passif sur cette question, il aurait été judicieux de frapper fort et de prendre une déclaration plus engagée. Il apparaît claire que la FOM ne compte pas nécessairement changer ses habitudes et l'entrée au calendrier du GP d’Azerbaïdjan en est la preuve. La Chine, connue pour ses entraves et violations aux droits de l'Homme, notamment à la liberté d'expression. La Russie est condamnée régulièrement par la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme a rendu, en 2015, un rapport préoccupant quant à l'état des droits de l'Homme au Mexique.

Baku, nouveau point noir des droits de l'Homme

Et enfin, l'arrivée au calendrier du GP de Baku, estampillé GP d'Europe, fait grincer des dents tant du coté des associations de défense des droits de l'Homme que des institutions politiques. Car il ne s'agit plus seulement d'une pression populaire, les instances européennes telle que le Conseil de l'Europe ont déjà agi et réagi face au gouvernement de Baku.

En effet, le Conseil de l'Europe a décidé, en octobre 2015, de mettre fin à sa coopération avec l’Azerbaïdjan sur la question des droits de l'Homme en raison de la dégradation importante subie par ces droits dans ce pays. Arrestations arbitraires, emprisonnement pour une durée indéterminée, censure de l’opposition, des journalistes et militants des droits de l'Homme, tortures et violences, tous ces actes sont des pratiques régulières dénoncées par différentes organisations non-gouvernementales comme Human Rights Watch.

Le Conseil de l'Europe, via son Commissariat aux droits de l'Homme, a publié un juin 2015 une tribune en amont des premiers Jeux européens qui se déroulaient à Bakou. Dans cette tribune, le commissaire appelait les sportifs et organisations sportives à ne plus ignorer la question des droits de l'Homme, que ce soit en Azerbaïdjan ou ailleurs.

L'annonce de la signature du GP de Baku au calendrier 2016 a été quasiment simultanée avec la publication de la déclaration sur le site officiel de la FOM. Il est donc d'autant plus important et discutable que cette publication fut faite de manière si peu médiatique et qu'elle ne contient pas d'éléments forts.

Un positionnement timide de la F1

En prenant une position plus affirmée vers plus de protection des droits de l'Homme comme le demande l'opinion populaire et les instances politiques européennes, la F1 aurait fait figure de précurseur. Elle aurait été un modèle pour les différentes organisations sportives internationales qui, si elles ont également des règles de respect des droits de l'Homme, ne semblent pas plus enclines à prendre leur responsabilités.

Mais les intérêts économiques sont souvent bien plus importants que ces questions. La FOM, comme les autres organisations sportives, limite son action à une simple déclaration de bonne foi. La FOM a-t-elle procédé à une vérification préalable à cette signature ? Il semblerait que oui, selon les dires de Bernie Ecclestone lors de l'annonce de l'accord, au GP de Bahreïn 2015. Comment la FOM compte-t-elle minimiser son impacte dans les violations aux droits de l'Homme dans ce pays ? Personne ne le sait encore.

S'il ne s'agit pas d'un problème strictement réservé à la F1, car englobant la totalité des événements sportifs mondiaux, il est appréciable de voir une entité telle que la FOM prendre conscience de son impacte. Comprendre que son rôle ne se limite pas à faire rouler des monoplaces partout dans le monde. Cela ne rend pas cette déclaration suffisante en soi. Il faudra plus que des bonnes intentions de leur part pour que la présence du petit monde de la F1 n'aggrave ni ne cautionne les atteintes aux droits de l'Homme.